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Traversée de la mer Caspienne : une désorganisation à la hauteur de la dérive écologique
23 juillet 2007 Hervé Bonnaveira

Une semaine d’attente, 36 heures de ferry à 15 km/h mais nous voici au Kazakhstan, impatients de pédaler enfin !



Difficile de ne pas céder au fatalisme écologique après notre départ exaspérant de Bakou.



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Naufrage au bord de la mer Caspienne : en 2005, le ferry Bakou- Aktau a coulé

Lundi matin, port de Bakou. Nous avançons incrédules au milieu d’un couloir d’entrepôts au bout duquel 3 personnes déjà nous ont assuré que se trouvait le terminal des ferrys. Effectivement, après une barrière, deux policiers nous indiquent derrière un camion une porte en fer marquée “Kassa” dessus. A l’intérieur, une grande pièce climatisée où trône un moustachu en uniforme qui sirote un thé entre amis dans son canapé. A peine a-t-il vu de la lumière qu’il nous interpelle :
“ — Fermez bien la porte derrière vous ! ”
Goska lui répond de son meilleur russe :
“ — Bonjour, excusez-nous, c’est bien d’ici que partent les bateaux pour le Kazakhstan ?
" — Oui. Mais le bateau pour Aktau est parti ce matin. On ne sait pas quand il reviendra. Revenez, pas demain mais après-demain. ”
Jeudi après-midi, port de Bakou, même guichet :
“ — Toujours pas de nouvelles. Le bateau n’est toujours pas reparti d’Aktau. On le saura demain après 11 heures. ”
Vendredi, 18 h, après maintes supplications pour le moindre renseignement :
“ — Oui, le ferry arrivera finalement cette nuit et repartira après 3 heures du matin. Revenez à minuit pour achetez vos billets. »
Commence alors une longue attente, absurde et inutile. Pourquoi ne pas nous vendre les tickets tout de suite ? Où allons-nous dormir ? Pourquoi nous laisser croire que le ferry repartira en pleine nuit alors que cela fait une semaine qu’on l’attend ?

Au cours de toute une nuit, errée entre le restaurant (offert par un inconnu), le bistrot improvisé d’une usine désaffectée, la porte close du guichet et la chambre de notre devoué hôte Vekil, nous vivons des évènements palpitants : rencontre de 2 suisses et 2 français eux aussi échoués là sur le port, camouflage des vélos dans la voiture des suisses pour échapper à la taxe de 50 $ par mètre de véhicule, motorisé ou non, arrivée du ferry, déchargement, chargement de wagons de train et de camions gigantesques, triple contrôle des billets et des passeports...
Les azéris et les chauffeurs de camions trucks résignés à ce manège attendent sagement et trouvent le sommeil dans un confort précaire. A l’embarquement dans le ferry vers 9 heures, une femme se rebelle contre le supplément qu’on lui réclame encore pour une cabine sans douche, avec des toilettes communes mais qu’il faut laver soi-même, à moins d’être bouché du nez.

A voir cette latence, cette désorganisation des autorités, tournant assez souvent vers la mauvaise volonté et la corruption, on comprend mieux le délabrement actuel de la mer Caspienne. Exploitation pétrolière intense, surpêche, pollution chimique, innondation et fatalisme écologique sont en train de gangréner la lointaine mer d’Asie centrale.

Partout poussent des plateformes pétrolières dont les ouvriers habitent des véritables villes flottantes comportant des écoles et des buildings. Les cinq pays frontaliers (Azerbaïjan, Russie, Kazakhstan, Turkménistan et Iran) se disputent la territorialité des ressources, mais ce sont les investisseurs étrangers qui tirent la plus belle part de la galette.
Coté pêche, l’esturgeon dont la femelle produit le fameux caviar noir, le plus prisé des connaisseurs, se raréfie en raison de la pollution chimique aux pesticides et aux dérivés du pétrole. En dépit des quotas, la police des mers, peu scrupuleuse, ferme les yeux sur le très lucratif commerce du braconnage, moyennant compensation.
Quant au niveau des mers, lors d’une promenade sur la plage de Sumqayit, si tant est qu’on puisse appeler plage un amoncèlement côtier de détritus et d’épaves, nous avions remarqué un bâtiment “pris” par les eaux. Un vieux rencontré sur place nous avait informé qu’il s’agissait de l’ancien poste de secours et que le niveau montait régulièrement depuis une dizaine d’années.
Lorsqu’on pose la question du pourquoi, à lui et aux autres, la réponse est invariablement la même :
“ — Je ne sais pas. Personne ne le sait. ”
Voici ici quelques éléments de réponse. La mer Caspienne étant une dépression endoréïque, son niveau est directement dépendant des précipitations dans les bassins versants des deux fleuves géants du Nord : la Volga et l’Oural. L’océan Atlantique contrôle tout le système par ses oscillations périodiques. La mer Caspienne est en quelque sorte un modèle réduit du changement climatique, à l’échelle régionale.

La chute de l’URSS a amorcé une prise de conscience collective de cette dérive écologique. Depuis 1998, le Programme Environnement Caspienne (CEP) vise au développement durable de la Caspienne en préservant les ressources vivantes, la qualité de l’eau, la santé humaine et la gestion de l’environnement. C’est un programme international lancé par et pour les cinq pays mitoyens qui jusqu’à présent en sont encore à débattre sur le statut de la Caspienne : mer ou lac ?

A ceux qui en France diront : « — C’est leur problème, ils n’avaient qu’à faire attention. Ce genre de catastrophe écologique n’arrivera jamais chez nous ! », Je leur dis : « — Ne videz pas votre eau dans ma fontaine. Pas très loin de Marseille, il y a moins de 50 ans, mes grands-parents se baignaient dans les eaux limpides de l’étang de Berre et y mangeaient des moules ; aujourd’hui les poissons disparaissent peu à peu des mêmes eaux devenues saumâtres et turbides. »
Nous aussi, nous avons notre mer Caspienne. Cliquez ici pour plus d’informations.






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