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Un véhicule toutes les heures sur la route de la soif... pour l’instant
Sur la carte, le désert du Karakalpakstan paraissait une des sections les plus incertaines de notre itinéraire. A la frontière du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan, ce territoire occupe plus de 400 km de longueur avec que des routes en pointillés, deux villes indiquées, un pénitencier, une voie ferrée, un aqueduc, un gazoduc et une ligne électrique en ligne droite.
Au fur et à mesure que l’on s’était rapproché du Karakalpakstan, les voyageurs à contre-sens nous avaient rassurés sur l’état de la route, en particulier François- Xavier, un cycliste belge rencontré à Aktau : “— Pas de problème, ça passe, en 4-5 jours en vélo ! C’est tout droit et tout plat !”, tout en nous préparant mentalement à des conditions de voyage peu confortables : “ — Pour les deux tiers, tu roules sur de la tolle ondulée. Il n’y a qu’une seule solution, aller vite...” Facile à dire. Concrètement sur le terrain, difficile de dépasser les 12 km/h, sans compter les pauses pour changer de fesses. Les distances entre deux points de ravitaillement fréquemment supérieures à 100 km nous obligent une première fois à dormir dans le désert. Le troisième jour, fois, après 250 km de piste, nous ne sommes plus qu’à 12 km de Jasliq lorsque la nuit tombe. Deux géologues russes prospectant du gaz s’étonnent de nous trouver là et nous proposent une place dans leur camion. Devant nos réticences, ils déploient une série d’arguments convaincants : “— Continuer de nuit ? Sur une piste comme celle-là... vous rigolez ? Et encore ici c’est du gravier, là-bas c’est des pierres !”. Nous leur répondons que nous pouvons dormir ici avec la tente, mais une nouvelle fois, ils se montrent sceptiques : “ — Dormir ici ? Sérieusement ? Avec les scorpions, les araignées et les serpents ? — Y en a-t-il vraiment beaucoup ? — Oui, beaucoup, en particulier ici... Les scorpions ont plus de venin l’été et ils sortent la nuit. Les araignées sont les pires, elles te piquent et en deux heures, c’est fini. Quant aux serpents, ils fond des bonds de plusieurs mètres dans les arbustes. C’est pour ça qu’ils ont mis le pénitencier à coté. — Ah bon ? ! ... Merci. Alors, à ce moment-là, on va peut-être monter les vélos dans votre camion jusqu’à la ville, s’il vous plait.” Ils nous déposent au prochain restaurant routier où paradoxalement alors qu’on se croyait en plein milieu du désert – il reste encore 150 km - commence la route goudronnée. Les travaux ont commencé en 2005 et dureront “le temps nécessaire” selon les dires de l’ingénieur local. En plusieurs endroits déjà sur le parcours, nous avions croisé et sympathisé avec des équipes d’entretien de la route en train de boucher les trous. Mais ici les choses semblent plus sérieuses bien que la technique d’asphaltage soit encore rudimentaire. Des camions entassent le gravier sur la piste, celui-ci est disposé en petits bassins dans lesquels le goudron est déversé. Les deux composants sont mélangés sur place, puis étalés et aplatis par un rouleau compresseur. Retour à la civilisation, nous rejoignons tranquillement Qongirat, en danseuse pour soulager nos bleus. Quel bonheur de rouler sur le bitume ! Au Karakalpakstan, la voie ferrée a ouvert le transport de marchandises ; l’aqueduc a permis d’installer des oasis sources de vie ; le gazoduc a amené du travail et créé des villages ouvriers ; la ligne électrique a amené la lumière, quel sera l’impact économique et social du goudron sur le développement durable de ce bout de terre désolé ?